Témoignage d’une traductrice

Alexandra Moreira da Silva


Alexandra Moreira da Silva

Quel est le rôle du traducteur dans la promotion et la circulation des textes ?

"Pour reprendre le mot de l’auteur Erri de Luca, le traducteur n’est pas le dernier chevalier errant de notre temps, mais le cheval de Don Quichotte… Le traducteur porte le chevalier qu’est l’auteur, il en prend soin et l’emmène vers l’autre. J’ai effectivement le sentiment d’être au service des auteurs et des textes. Et je prends mon rôle de promotion des auteurs portugais très au sérieux. Je propose des textes aux comités de lecture, je participe à des colloques, je fais des résumés d’œuvres portugaises, je vais les présenter à des théâtres. C’est un travail important pour la diffusion des dramaturgies contemporaines. Il arrive aussi que des théâtres ou des compagnies portugaises me demandent des textes français. Je les sélectionne en fonction de ce que je sais des metteurs en scène, de leur univers et de leur manière de travailler."

Comment se porte la traduction au Portugal ?

"Plutôt mal… Il y a très peu d’argent et le théâtre portugais contemporain n’est presque pas traduit. Sans oublier que, même traduit, un texte doit encore être publié pour circuler et que rares sont les maisons d’édition portugaises qui s’intéressent au théâtre. La crise économique a brisé la dynamique européenne. Mais il y a tout de même des raisons d’espérer ! Une manifestation comme Corps de Textes permet justement de faire circuler des textes sans qu’ils aient été publiés. Je travaille régulièrement comme traductrice avec la maison Antoine Vitez et cela se sait. C’est par ce biais que j’ai traduit trois textes pour la manifestation de Lisbonne en novembre 2010. Et quelques compagnies portugaises, notamment Artistas Unidos, de Jorge Silva Mello, font un travail extraordinaire de traduction et d’édition de textes de théâtre."

En quoi Corps de Textes est-il utile ?

"C’est une manifestation importante pour discuter de ces problématiques et faire connaître les dramaturgies contemporaines portugaises en dehors du Portugal. Nous avons rarement l’occasion de nous réunir entre professionnels et c’est un moment privilégié pour les jeunes auteurs. Nous avons besoin de cette circulation des textes et des idées. Il y a un désir d’expérimentation très fort au Portugal, où les gens ont envie de travailler les textes dans une relation très étroite avec le plateau. Beaucoup de gens se sont intéressés à ces Rencontres de Lisbonne et elles en ont suscité d’autres. En janvier 2011, le Théatre national de Porto a ainsi repris des textes qui avaient été présentés à Lisbonne, en présence de certains des auteurs. Même si le public des lectures est limité, il se développe, notamment par l’intermédiaire des groupes de lecture dans les théâtres et dans les compagnies."

En quoi la traduction d’un texte de théâtre diffère-t-elle de celle d’un roman ?

"C’est une traduction très spécifique car on traduit pour une voix, pour un corps. Il ne faut pas seulement lire ou écrire, mais aussi dire et entendre. Je me souviens avoir traduit un texte de Marguerite Yourcenar pour lequel le metteur en scène m’avait demandé de participer à la mise en lecture. Il savait que si un traducteur n’est pas un acteur, il lit toujours à haute voix et « sait » donc lire… J’ai d’ailleurs besoin d’entendre ce que je traduis. Il est toujours angoissant pour moi de publier une traduction qui n’a jamais été lue, j’ai souvent envie de changer des choses après l’avoir entendue."